Oeuvre originale, série limitée, épreuve d’artiste

  • Qu’est-ce qu’une œuvre originale ?
  • Qu’est-ce qu’une pièce unique ?
  • Une œuvre originale » peut être produite en combien d’exemplaires ?
  • Quelles sont les différences entre tirage limité, épreuve d’artiste et tirage multiple ?
  • Quel nombre de tirages sont autorisés pour une photographie d’art ?

Sur ces termes très utilisés dans l’art contemporain, règne souvent une grande confusion, tant chez les acheteurs que chez certains artistes qui se demandent ce qu’ils sont en droit de faire et quelles sont les garanties qu’ils peuvent « apposer » à leur travail.

Dans cet article, qui inaugure le chapitre dédié au droit du marché de l’art, nous tenterons d’y voir un peu plus clair sur ces aspects, en précisant quelques définitions.

Nous précisons au lecteur que cet article se base notamment sur les définitions données par le code des impôts de France, ainsi que sur le code déontologique des fonderies d’art, également françaises.

Ces définitions restent une base tout à fait valide pour d’autres pays. Il conviendra néanmoins de vérifier si des lois et codes d’autres pays n’entrent pas en contradiction directe.

Définition juridique d’une œuvre d’art

Selon l’article 98A du code général des impôts:

« II. – Sont considérées comme œuvres d’art les réalisations ci-après :

1° Tableaux, collages et tableautins similaires, peintures et dessins, entièrement exécutés à la main par l’artiste, à l’exclusion des dessins d’architectes, d’ingénieurs et autres dessins industriels, commerciaux, topographiques ou similaires, des articles manufacturés décorés à la main, des toiles peintes pour décors de théâtres, fonds d’ateliers ou usages analogues ;

2° Gravures, estampes et lithographies originales tirées en nombre limité directement en noir ou en couleurs, d’une ou plusieurs planches entièrement exécutées à la main par l’artiste, quelle que soit la technique ou la matière employée, à l’exception de tout procédé mécanique ou photomécanique ;

3° A l’exclusion des articles de bijouterie, d’orfèvrerie et de joaillerie, productions originales de l’art statuaire ou de la sculpture en toutes matières dès lors que les productions sont exécutées entièrement par l’artiste ; fontes de sculpture à tirage limité à huit exemplaires et contrôlé par l’artiste ou ses ayants droit ;

4° Tapisseries et textiles muraux faits à la main, sur la base de cartons originaux fournis par les artistes, à condition qu’il n’existe pas plus de huit exemplaires de chacun d’eux ;

5° Exemplaires uniques de céramique, entièrement exécutés par l’artiste et signés par lui ;

6° Emaux sur cuivre, entièrement exécutés à la main, dans la limite de huit exemplaires numérotés et comportant la signature de l’artiste ou de l’atelier d’art, à l’exclusion des articles de bijouterie, d’orfèvrerie et de joaillerie ;

7° Photographies prises par l’artiste, tirées par lui ou sous son contrôle, signées et numérotées dans la limite de trente exemplaires, tous formats et supports confondus. »

source: Article 98A du code général des impôts

Note: dans le cas d’exemplaires multiples, l’artiste décide du nombre d’exemplaires, dans la limite du nombre maximum défini par le code des impôts. Un photographe peut ainsi décider d’effectuer un tirage unique ou de ne signer que trois exemplaires, numérotés de 1 à 3.

Code déontologique des fonderies d’art

En 1993, les fondeurs d’art adhérents au Syndicat Général des Fondeurs de France rédigent le code déontologique des fonderies d’art, qui précise et étend la limite des huit exemplaires indiquée dans le code général des impôts, pour ce qui concerne la fonderie d’art:

« Toute œuvre d’art obtenue par Fonderie peut être produite : soit sous l’appellation d’ « ORIGINAL », soit sous celle de « MULTIPLE », soit sous celle de « PIECE UNIQUE ». Ce choix dépend de l’Artiste. Il doit être déterminé avant la réalisation de la première pièce et il est irrévocable. »…

« Lorsqu’elle est produite sous l’appellation d’ « ORIGINAL », toute œuvre d’art en alliage métallique fondu ne peut être réalisée, selon la réglementation actuelle, qu’au nombre maximum de 12 exemplaires, même si la composition ou la couleur de l’alliage utilisé ne sont pas les mêmes pour chacune des 12 pièces. Parmi ces originaux, quatre, appelés « Epreuves d’Artiste », doivent être numérotés EA I/IV, EA II/IV, EA III/IV, EA IV/IV en chiffres romains, les 8 autres seront numérotés 1/8, 2/8 etc. en chiffres arabes. Les fondeurs s’interdisent tout autre marquage et notamment O, plusieurs O, HC, etc. Il est possible par contre de produire un nombre d’originaux inférieur à 12, le choix de ce nombre devant alors être déterminé, de façon irrévocable, par l’artiste, avant la première fonte. La limitation du nombre d’épreuves originales n’affecte que les 8 œuvres numérotées en chiffres arabes et n’exclut pas la réalisation des 4 épreuves d’artistes. Lorsque la quantité, prédéterminée par l’artiste, est atteinte, elle ne peut en aucun cas être dépassée. »…

Concernant l’appellation « MULTIPLE » ce code précise:

« En cas de tirage d’une œuvre sous forme de « multiples » il n’y a ni originaux ni épreuves d’artiste.

Et enfin, s’agissant d’une PIECE UNIQUE:

« Lorsqu’une œuvre aura été coulée en un seul exemplaire, par exemple à partir d’une cire directement réalisée par l’artiste, elle sera marquée « PU » (Pièce Unique) avec la précision, le cas échéant « Cire directe ». Cette œuvre particulière ne pourra faire l’objet d’aucune épreuve d’artiste ni évidemment de multiples. »

lien: code déontologique des fonderies d’art

Il est à noter que ces textes sont français et par conséquent applicables en France. En cas d’achat d’une oeuvre d’art à l’étranger, il conviendra de s’informer sur la législation applicable et en vigueur dans le pays concerné.

Attention! Pour ce qui concerne l’application de la TVA, le fait de dépasser la limite du nombre d’exemplaires indiqué dans le code des impôts fait perdre le droit à l’application du taux réduit (5.5%). En principe, le taux plein de TVA doit être appliqué sur l’ensemble de la série concernée.

Les séries de photographies d’art supérieures à 30

Il n’est pas rare de rencontrer des tirages photographiques à 50, voire 100 exemplaires ou plus.

Ces tirages ne répondent pas, à notre avis, à la définition d’oeuvre d’art originale, et ne devraient pas être présentés comme tels. Il me semble qu’au delà des trente exemplaires prévus par le code des impôts, on devrait utiliser un terme plus approprié, tel que « copie d’artiste à série limitée ». Concernant les aspects fiscaux, le taux réduit ne s’applique pas. Il s’agit bien là d’un produit commercial.

Certaines photographies sont parfois vendues sous l’appellation d’épreuve d’artiste. La légalité de cette pratique ne nous semble pas établie, la notion d’épreuve d’artiste ne s’appliquant logiquement que pour la fonderie d’art. L’avis d’un juriste à ce sujet serait le bienvenu.

Quoi qu’il en soit, il ne faut pas perdre de vue le fait qu’une série trop grande a pour conséquence de déprécier les oeuvres.

En pratique, le certificat d’authenticité peut contenir une déclaration précisant que le fichier numérique haute définition ou « master » a été détruit par l’artiste. Cette mention est une garantie supplémentaire pour l’acheteur qu’il n’y aura pas de tirages « originaux » supplémentaires.

Œuvre unique ou pièce unique (P.U.):

Il s’agit du cas le moins ambigu. Les œuvres réalisées entièrement par la main de l’artiste, qu’il s’agisse de peinture, ou de sculptures réalisées par taille de pierre ou modelage de la terre par exemple, sont, de fait, des pièces uniques.

Mais concernant des oeuvres « reproductibles », telles que des moulages de bronze ou des tirages photographiques, rien n’empêche l’artiste de décider qu’il n’y aura qu’une seule épreuve.

Dans ce cas, elle pourra être mentionnée comme pièce unique.

Authenticité:

Il n’existe pas, en droit, de définition précise de l’authenticité d’une oeuvre. D’après la jurisprudence, il conviendra de considérer que le plus important est la qualité de l’information fournie par le vendeur, afin de déterminer si l’acheteur disposait de tous les éléments nécessaires à sa décision d’achat.

Concernant l’art contemporain, l’émission d’un certificat d’authenticité, signé de la main de l’artiste, permet de couper court à toute controverse sur l’authenticité de l’oeuvre.

Nous recommandons fortement d’accompagner chaque œuvre d’un tel certificat.

Le certificat d’authenticité devra mentionner :

– Le nom de l’artiste

– Les numéros professionnels (Maison des Artistes, SIRET, SIREN, …)

– Le titre

– Les dimensions

– La technique et les matières utilisées

– Le support

– L’année de création

– Le N° du tirage dans le cas d’une série (exemple: oeuvre N° 2 sur une série de 8 exemplaires)

– Une photo de l’œuvre

– La date de délivrance du certificat

– Le cas échéant, une mention déclarant que le fichier master ou le moule a été détruit

– La signature de l’artiste

Un certificat d’authenticité peut éventuellement faire l’objet d’une protection spécifique (filigrane, code sécurisé, scellé, certificat électronique, etc).

Œuvre originale: combien d’exemplaires?

Comme vu précédemment, une oeuvre unique et entièrement réalisée par la main de l’artiste est de fait une oeuvre originale.

Mais la question se pose lorsqu’il s’agit par exemple de moulages de pièces en bronze ou encore de tirages photographiques.

Ici, encore, il conviendra de se référer aux limites de nombre d’exemplaires énoncées par l’article 98 A du code général des impôts. Tant que l’on reste dans ces limites, il est tout à fait légal d apposer la mention « oeuvre originale » à laquelle il faudra ajouter le N° du tirage et le nombre d’exemplaires produits (ou prévus) par l’artiste.

Cas particulier 1: les oeuvres transformatrices

Une oeuvre d’art ne naît pas du néant. Elle est généralement inspirée par la culture dans laquelle évolue l’artiste, et cette culture est en partie constituée par des oeuvres préexistantes.

Mais de nos jours, les oeuvres dites « transformatrices », qui mêlent souvent images, sons, vidéos et machineries, prennent une place de plus en plus grande sur le marché de l’art.

Les deux grandes tendances transformatrices que sont le mashup (réunion de plusieurs oeuvres) et le remix (modification d’une oeuvre pour en « créer » une nouvelle) amènent bien d’autres questionnements, en particulier sur la propriété intellectuelle, d’autant que les outils numériques permettent aujourd’hui des possibilités de manipulation des oeuvres pratiquement infinies.

Selon les règles de la propriété intellectuelle, « l’auteur de l’œuvre seconde doit solliciter l’autorisation de l’auteur ou de l’ayant droit de l’œuvre première, faute de quoi il est considéré comme un contrefacteur. »

Mais l’obtention de ces autorisations est souvent trop complexe et pose alors de nombreuses questions juridiques.

Si vous désirez approfondir ce sujet particulier des oeuvres transformatrices, nous vous conseillons la lecture de cet article du Journal Du Net.

Cas particulier 2: La protection des oeuvres numériques

La protection des oeuvres numériques pose un problème difficile à résoudre. En effet, techniquement un fichier numérique est reproductible à l’infini sans dégradation de la qualité.

A l’heure actuelle, il existe peu de solutions viables pour la protection de ces oeuvres.

Le chiffrement, ou cryptage d’un fichier permet d’y apposer une signature, ainsi que certaines limitations, comme l’interdiction de copie privée ou d’impression. Cette solution peut sembler de premier abord comme idéale.

Bien souvent, le chiffrement est utilisé essentiellement pour l’opération de téléchargement du fichier. Il s’agit alors de s’assurer que seul le destinataire sera en mesure de le déchiffrer.

Prenons l’exemple de l’achat d’une photo numérique sur un site de vente:

L’internaute choisi l’oeuvre qui lui plait et effectue son paiement.

Il a alors la possibilité de télécharger immédiatement le fichier photo.

Le téléchargement est sécurisé par le protocole « https » (qui repose sur un certificat électronique) du site afin d’empêcher qu’un tiers puisse intercepter le fichier. Le protocole https consiste en un chiffrement pendant le transport du fichier, de manière similaire aux paiements sécurisés sur internet.

Une fois le fichier photo téléchargé, l’acheteur peut ouvrir le fichier et y effectuer toutes opérations.

Pour protéger son oeuvre, l’artiste peut décider de chiffrer directement son fichier. Il s’agit là d’une protection supplémentaire. Même après l’avoir téléchargé, ou en cas de piratage du site internet, il est impossible de visualiser l’image sans la clé de déchiffrement. Cette dernière peut par exemple être envoyée par SMS ou par e-mail au destinataire.

Avec cette clé ou code, l’acheteur peut enfin déverrouiller son fichier.

A partir de ce moment, s’il s’agit d’un chiffrement sans protection supplémentaire, l’acheteur est en mesure de faire ce qu’il désire de son fichier: l’imprimer, le copier, éventuellement le modifier et le diffuser.

 Pour remédier à cela, différentes méthodes sont envisageables, comme par exemple un cadre numérique spécialisé qui accompagne l’oeuvre et qui contient la clé de déchiffrement.

Seul cet équipement est alors en mesure de visualiser la photo.

Ce mécanisme est complexe, notament en cas de panne ou de remplacement du matériel. Le fabricant doit alors pouvoir disposer du certificat d’origine pour le réinjecter dans l’appareil.

Cette solution présente néanmoins des inconvénients majeurs:

  • l’achat du cadre numérique peut sembler « forcé »
  • l’impossibilité d’utiliser d’autres médias de lecture crée une situation de monopole du fabricant.

Le tatouage ou « Watermarking » permet de marquer une image de façon visible en apposant une signature ou un logo, ou encore de manière invisible à l’œil nu, par la modification de pixels non significatifs. Cette méthode ne permet pas d’interdire la copie. Par contre, elle trouve toute son utilité en cas de litige, particulièrement pour le watermarking invisible qui permet d’authentifier un original.

Les mécanismes de protection des droits en matière de contenu numérique sont dénommés DRM pour Data Rights Management.

Les NFT (Non Fungible Token)

 

Qu’est-ce qu’un NFT ?

Les NFT fonctionnent sur la technologie des blockchains, celle utilisée par les cryptomonnaies.

L’émission de certificats basés sur les NFT est très prometteuse.

Les NFT sont « non fongibles », c’est à dire qu’ils ne sont pas interchangeables. C’est la grande différence avec les cryptomonnaies. A titre de comparaison, 1 pièce ou un billet de monnaie sont fongibles, car une pièce de 1 euros peut être échangée contre une autre pièce de 1 euro (exception faite des pièces de collections, qui sont un cas particulier).
La technologie NFT, au sein de la blockchain, garantit l’unicité. Elle est donc particulièrement adaptée aux oeuvres d’art, et plus encore à l’art numérique.

Comment acheter un NFT ?

Pour acheter un NFT, il faut généralement se connecter sur une plateforme spécialisée, ou marketplace, puis créer un portefeuille, également appelé « wallet ».

La monnaie généralement utilisée pour la transaction est l’ethereum, bien que certaines plateformes permettent d’acheter en bitcoin, ou en argent classique, via PayPal ou carte de crédit.

Les NFT sur le marché de l’art

Les technophiles, passionnés de crypto et de tout ce qui touche au numérique, ne tarissent pas d’éloges pour cette technologie.

Certaines oeuvres se sont déjà vendues à des prix atteignant plusieurs millions de dollars.

On s’arrache les Crypto Punks de Matt Hall et John Watkinson.

Pour l’artiste, le NFT apporte un avantage indéniable : à chaque revente sur le second marché, par exemple lors d’une vente aux enchères, l’artiste doit percevoir une commission. A terme, cela pourrait constituer un revenu récurrent.

Pourtant, il faut garder la tête froide. Bon nombre de NFT restent invendus et le resterons sans-doute à jamais.

La technologie des NFT est encore récente et de nombreuses interrogations subsistent.

Par exemple, cette méthode ne garantit pas l’authenticité de l’œuvre physique associée au NFT, ni que celle-ci a réellement été créée par l’artiste présumé..

De plus, lorsqu’un amateur décide d’acheter un NFT, il n’achète pas l’œuvre, mais le NFT, c’est-à-dire une reproduction de l’œuvre, au sein de la blockchain.

Pour obtenir plus de droits et de garanties, il faudra, soit passer par des plateformes prenant en compte ces enjeux, comme SuperRare, soit intégrer au NFT un acte d’huissier, ce qui est parfaitement réalisable.

Nous suivons de très près l’état de maturité de cette technologie, ainsi que ses aspects légaux.

Nous ne manquerons pas de vous tenir informés et nous rédigerons certainement un article entièrement dédié à ce sujet.

En attendant, nous vous conseillons de détenir et de conserver précieusement les preuves de la paternité de vos oeuvres, et notamment de vos photographies et oeuvres numériques.