L’ artiste et l’état dépressif

Les artistes face à l‘état dépressif

Pour beaucoup d’artistes, l’art est une façon de soigner des troubles et des angoisses. La peinture devient thérapeutique ainsi que d’autres formes d’art. Un peintre fait souvent de la peinture thérapie sans en avoir pleinement conscience. Artiste, dépression, sont des mots que l’on associe fréquemment. Un peintre n’est pas obligatoirement un artiste dépressif. Cependant, il peut le devenir si ses conditions d’existence deviennent précaires ou si l’obsession de l’art devient trop encombrante dans son esprit.

L’épidémie de la Covid a mis en lumière et augmenté la précarité des artistes. Ils souffrent pour la plupart de l’incertitude du lendemain et des fluctuations de leurs revenus. Ils sont, par la nature de leur métier, fragilisés socialement. Certains, pour assurer les fins de mois, ont un autre métier en parallèle de leur pratique artistique. D’autres diversifient leur pratique en enseignant ou en se spécialisant dans la thérapie, par exemple, avec la peinture thérapie.

Il semblerait, selon des études récentes, que 80 % des artistes musiciens sont anxieux par rapport à leur avenir professionnel. Le plus inquiétant, c’est que sur ces 80 %, 20 % sont diagnostiqués comme souffrant de dépression, soit 2,5 fois plus que la moyenne nationale. Ce qui est valable dans le secteur musical l’est aussi dans les autres domaines artistiques.

(Rapport établi par les quatre fondateurs de Cura et publié le 17 octobre 2019)

 

La création artistique et la santé mentale sont-elles corrélées ?

Le moteur des artistes, c’est la passion et l’exaltation. Il paraît assez logique que ceux-ci soient plus exposés à des variations émotionnelles intenses. Par ailleurs, ils passent très souvent de la lumière à l’ombre de la solitude, de l’enthousiasme à l’indifférence. Il faut avoir un mental de fer pour supporter ces écarts psychiques. Or, la fragilité émotionnelle est l’une des composantes de la création. Le cocktail est détonnant. Une fragilité émotionnelle sous-jacente participe à l’apparition des troubles mentaux comme les troubles de l’humeur, la dépression ou le trouble bipolaire. Si l’on rajoute les addictions à des substances psychotropes, le danger de plonger dans la maladie est important.

Les artistes sont-ils plus fragiles mentalement que le reste de la population ?

Il convient de constater que la plupart des artistes ne sont pas plus fragiles à la base que le reste de la population. Ils sont capables de gérer leur santé mentale comme tout un chacun. La seule réelle différence les concernant réside dans la précarité qu’ils vivent souvent au quotidien. Ne pas pouvoir faire vivre sa famille ou simplement devoir assumer devant amis et proches son incapacité à générer des revenus réguliers est fréquemment vécu comme un échec. Difficile à supporter ; la précarité porte un coup rude à l’image de soi. Sa récurrence érode l’enthousiasme et risque de provoquer des pathologies mentales. Le cercle vicieux d’une perte de confiance provoquant une dévalorisation de ses capacités peut s’amorcer. C’est la dégringolade qui parfois mène à la dépression ou provoque le début de pathologies mentales jusqu’alors cachées qui, dans le pire des cas, mène potentiellement au suicide.

Le mythe de l’artiste bohème a la vie dure.

Pratiquer l’art comme un métier n’est pas naturellement reconnu. L’artiste, dans l’inconscient collectif, est considéré comme un saltimbanque. Il est à part. De plus, il doit assumer ses choix, qui sont pour beaucoup synonymes de légèreté. Ainsi, la condition précaire des artistes est une acceptation quasi unanime dans nos sociétés technocratiques.

Par ailleurs, on a notamment pu le constater pendant les « confinements » liés à l’épidémie de la Covid, l’art n’est pas prioritaire.

De plus, nous vivons dans une société du spectacle assumée (voir l’essai de Guy Debord [La société du spectacle 1967]. Nous ne reconnaissons pas le droit aux artistes de vivre correctement de leur art. C’est un paradoxe qui les place dans des situations matériellement et psychologiquement difficiles.

Y a-t-il un lien entre créativité et santé mentale ?

Il existe bien une prévalence de la maladie mentale parmi les professions artistiques, selon Simon Kyaga, psychiatre et chercheur à l’Institut Karolinska de Stockholm. Un article du Journal of Psychiatric Research, définit les professions créatives comme plus sensibles aux maladies mentales : schizophrénie, trouble bipolaire, anorexie mentale et, dans une certaine mesure, autisme.

[Journal of Psychiatric Research 10/10/2016/ Mental illness, suicide and creativity: 40-Year prospective total population study]

Concernant l’impact des troubles psychiques sur la créativité, elle est bien réelle. Un article publié dans la revue Management Science sous le titre “Mort, deuil et créativité” démontre une perte en valeur entre les œuvres réalisées par des artistes pendant la période de deuil d’un proche par rapport au reste de leur production. La différence des estimations de prix est constatée à 35 %. Les œuvres étaient en outre moins susceptibles d’être intégrées dans les collections des musées.

Les peintures produites dans l’année qui suivent la mort d’un proche sont dépréciées. Cela met en cause l’idée que le malheur et la tristesse seraient un allié de la création.

Un exemple édifiant concerne la période bleue de Pablo Picasso. En 1901, il est en Espagne lorsqu’il apprend la mort de son ami Casagemas. Sa peinture change alors radicalement. Ses toiles sont boudées par les marchands et ce n’est qu’à l’occasion d’une exposition en avril 1902, chez la galeriste **Berthe Weill** qu’elles deviennent visibles.

Comme on peut le voir, l’art et la dépression ont une histoire commune. Malgré toutes les recherches et analyses sur le sujet, force est de constater que ce rapport étrange, comme beaucoup de questionnements en art, reste un mystère.

“Si vous ne pouvez pas en parler, pourquoi le peindre ?” Je vous laisse méditer sur cette énigme de Francis Bacon.

Sujets voisins: